Sources des droits de la nature
La simple énonciation de la possibilité des droits de la nature a déclenché un processus de discussions, de réflexions et tentatives de repenser la relation entre les êtres humains et la nature. La présente étude contient plusieurs de ces éléments et réflexions.
L’article de Eugenio Raúl Zaffaroni retrace la succession des débats historiques qui ont eu lieu sur l’être humain et son environnement sous un angle philosophique, éthique et juridique. Il analyse l’origine des réflexions sur la nature depuis les discours et les moyens de traitement des droits des animaux. Pour lui, l’incorporation de la nature au droit constitutionnel en tant que sujet de recherche ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire du droit.
Les droits de la nature reflètent une nouvelle - en réalité une ancienne - vision de la vie. Ils émergent d’une matrice sociale, culturelle et cognitive différente dans la relation de l’homme avec la nature, la même qui se base sur le sens de la communauté et un fort enracinement dans le sacré - non pas dans le sens religieux en vigueur dans la culture occidentale, mais compris comme « ce qui est digne de respect ».
Les principes propres de la rationalité andine - qui alimentent la Constitution équatorienne, selon l’article de Ramiro Ávila - ouvrent des horizons au-delà du principe de causalité, propre à la pensée occidentale, et permettent d’enrichir non seulement le débat sur les droits de la nature mais aussi toute la théorie du droit.
Le principe de connexité fait valoir qu’il ne peut y avoir d’« entité » unique (l’homme, la nature ou les êtres divins). Le principe de correspondance dit qu’il y a une relation entre les différents domaines de la réalité : le symbolique, le qualitatif, le célébratif, le rituel et l’affectif. Le principe de complémentarité stipule que toute entité en laquelle une action coexiste avec son complément spécifique ne peut exister de manière individuelle. Le principe de réciprocité affirme qu’à chaque acte correspond un acte ou une réponse réciproque, comme une contribution de complémentarité. (Josef Estermann, La philosophie des Andes. Etude interculturelle des connaissances indigènes des Andes, Abya Yala, Quito, 1998, p. 359).
Les Droits de la Nature impliquent une rupture face à des positions conservatrices et en rapport à d’autres visions qui voient en la nature un simple objet de contemplation et de plaisir humain. Les droits de la nature indiquent qu’il y a une valeur intrinsèque qui va au-delà de l’utilité pour les êtres humains ou de la valeur que ceux-çi lui confèrent, comme mentionné dans l’article d’Eduardo Gudynas.
Certains des éléments développés dans le cadre des droits de l’homme et des droits environnementaux constituent des sources pour des droits de la nature et permettent parfois de problématiser ces droits, d’autres fois de leur apporter une forme d’application. L’article de Diana Murcia est une contribution importante dans le développement de ces droits dans le domaine du droit lui-même, car il énonce les obligations de respect, de protection et de garantie envers la Nature.
Le principe de l’interprétation évolutive des droits et la reconnaissance de l’interdépendance et l’indivisibilité des droits, développés par la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), est déjà une source importante pour la compréhension de l’interdépendance des droits, mais aussi l’interdépendance entre des sujets de droit.
Enfin, il est impossible de parler des sources constitutives des droits de la nature sans tenir compte de son contexte. La reconnaissance de ces droits répond à des processus historiques et à des moments politiques. L’article d’Alberto Acosta contextualise cette conquête dans le cadre constitutionnel équatorien, développé à un moment où le rôle de l’Equateur et de l’Amérique latine, en tant que grands exportateurs de la nature, est mis en cause.
Dans cette perspective, l’on comprend la raison pour laquelle ces droits ont été rajoutés à la Constitution de 2008 en Equateur. Ici, le problème de l’environnement est crucial, principalement parce que dans ce pays, la question environnementale est reconnue socialement car après la plupart des conflits sociaux, les maladies, la violence et l’appauvrissement, il y a un problème d’abus et de destruction de la nature. Le souci de la nature et les impacts sur l’environnement ont été présents tout au long de l’histoire des mouvements sociaux, en particulier dans le mouvement indigènes.
Les droits de la nature sont non seulement visés par les articles 71 à 74 de la Constitution équatorienne, ou par l’article 33 de la Constitution bolivienne. Ils sont également encadrés par un processus social qui a permis l’existence de ces constitutions et a fondamentalement remis en question, tout d’abord, le modèle néolibéral par rapport à l’organisation de l’économie et de la société et, en ultime instance, le système capitaliste lui-même.
Ni ces droits, ni rien ne vient de rien. Les droits de la nature ont une histoire. La reconnaissance des droits de la nature trouve son origine dans les luttes pour la terre, l’eau, la souveraineté alimentaire, et également dans les luttes contre l’extractivisme ou les méga-projets, ou les plaintes pour la manipulation de la vie, que ce soit en identifiant les vulnérabilités ou des conséquences néfastes sur les écosystèmes, ou en décrivant les effets massifs, transfrontaliers ou transgénérationnels.
Chacune de ces luttes a utilisé des stratégies combinant la théorie à la pratique, la résistance à des actions en justice, des pressions nationales et internationales, centrées sur un regard différent - non capitaliste - sur la nature et ce qui s’y rattache.